Envie de vous jeter sur la nourriture à 18h ? Sans forcément souffrir de TCA, c’est une situation que l’on peut mal vivre. On a tendance à se focaliser sur le fait de « manger ses émotions ». Mais il est fréquent que la faim, perçue ou non, vienne amplifier le problème en mettant le corps dans une forme d’insécurité physiologique. Bien se nourrir est souvent le premier levier à travailler.
Vous êtes comment, quand vous avez (très) faim ?
Quand vous faites les courses le ventre vide, juste avant le repas, comment cela se passe en général ? Comparé à un moment où votre faim est basse ? Choisissez vous les mêmes aliments ? Vous arrive t’il de chercher frénétiquement passé la caisse le paquet de biscuit (que vous n’auriez pas forcément choisi si vous n’aviez pas faim) pour l’ouvrir ou de sérieusement entamer la baguette fraîchement achetée, en ayant l’impression de ne rien contrôler ?
Si vous subissez une contrariété, recevez des mots perçus comme désagréables ou qu’un de vos enfants vous sur-sollicite alors que vous avez faim, comment réagissez vous ? Par rapport aux mêmes sollicitations dans un moment où vous avez peu faim ?
Observez différentes situations, que vous pouvez vivre après un déjeuner complet ou un déjeuner très léger.
Comment se passe le repas lorsque vous arrivez à table en ayant une faim qui vous tenaille comparé à une faim moyenne ?
En quoi le niveau de faim influence t’il votre degré d’impulsivité ?
Que remarquez vous dans ces expériences ?
Prendre conscience de ses « états »
Je le constate en cabinet : de nombreux patients arrivent en soulignant au premier rendez-vous avoir un « problème de stress qui les fait manger », ou parce qu’ils « mangent leur émotions ». Pointer un lien entre un état de stress ou difficulté à gérer ses émotions et une alimentation désordonnée est assez évident chez les patients. Ce lien est réel, et nous le validons ensemble.
Il existe aussi une réalité biologique, physiologique : notre corps a besoin d’être nourri, grâce à une alimentation régulière, suffisante, adaptée, agréable. On peut s’en rendre compte à travers nos sensations de faim, mais pour différentes raisons on peut ne pas les percevoir ou en tenir compte. La réalité est que notre corps consomme en permanence de l’énergie (même la nuit), notre glycémie, par exemple, diminue à distance des repas. C’est biologiquement normal d’avoir faim 3-4h après un repas, voire avant si le repas était insuffisant. Un déficit répété et important favorise les compulsions alimentaires, comme si le corps se rappelait à nous après avoir ignoré ses besoins de base.
En revanche, comprendre le lien entre un état nutritionnel insuffisant et une alimentation désordonnée demande une prise de recul et une analyse que nous construisons ensemble, en prenant en compte un certain nombre d’éléments, bien au delà du simple contenu des repas : à quel niveau ont-ils été suffisants ? Eté satisfaisants ? Permis un rassasiement durable ? Intervalle entre les repas ? Moment où la faim est apparue (si elle était ressentie) ? Capacité à la sentir ? En résumé, on explore votre état nutritionnel, et comment cela interagit avec le reste : états émotionnels, d’humeur, de stress, de fatigue, de douleurs et d’autres paramètres pouvant influencer la (non?) perception de ces états.
Une journée type
Voici un scénario, reflétant de nombreux cas (situation fictive, mais représentative) :
Vanessa saute le petit-déjeuner ou attrape une banane en partant, car elle préfère grapiller un peu de sommeil, et elle a une heure de trajet pour aller au travail. Elle n’a pas l’impression d’avoir faim, sans avoir vraiment le temps de s’interroger, à vrai dire. Le midi, elle déjeune rapidement : une salade, un fromage blanc et un fruit, ou parfois une formule avec sandwich. Pas trop copieux, parce qu’elle souhaite perdre du poids. Passé le tunnel de l’après-midi, elle rentre, vidée, et là « tout y passe pendant que je cuisine, pain et fromage ou biscuits et chocolat, et juste après, je passe à table alors c’est vraiment trop ».
Mis sur un schéma, avec un axe horizontal temporel représentant une journée, on arrive à construire ensemble cela :
On fait l’analogie entre la charge d’une batterie (comme celle de notre téléphone) et l’état nutritionnel, en convenant que cette batterie se décharge aussi la nuit (notre corps vit!). Et Vanessa en arrive à cette conclusion : « mes prises alimentaires ne m’ont pas permis de recharger ma batterie, comme si j’avais branché en urgence quelques minutes, pour remonter un peu le niveau et je l’ai débranchée avant la charge totale. A la fin de la journée, je suis dans le rouge niveau stress-émotion-fatigue, mais ma batterie nutritionnelle est aussi dans le rouge« .
On vient cumuler un état où le corps est en déficit énergétique, sur une zone d’intolérance émotionnelle en fin de journée : cocktail explosif !
Dois-je manger sans faim ?
Dans le cas général, une prise alimentaire régulière, suffisante, adaptée et agréable toutes les 4h maximum en dehors de la période de sommeil a un effet régulateur sur le comportement alimentaire.
- régulière : le corps a besoin de « recharger ses batteries » et en général, une prise alimentaire espacée de 4h maximum est aidant.
- suffisante : avec des féculents, ce sont eux qui nous permettent de tenir sur la durée.
- adaptée : au contexte, à l’activité prévue, à l’heure du prochain repas, à ma capacité à avaler des aliments au réveil (coucou la collation matinale un peu plus tard !). Une petite collation pour faire le pont de 2h d’ici le dîner sera plus frugale que si le dîner est plus éloignée et/ou qu’une séance de sport est prévue dans la journée.
- agréable : des aliments variés, que j’aime, sans tabou alimentaire.
In fine, la faim, qui peut être ressentie ou pas, ou de façon aléatoire au départ, finit souvent par se caler sur le rythme, grâce à cette régularité. Autrement dit, un rythme et des habitudes alimentaires souples permettent au corps de faire des apprentissages, d’amener une sécurité physiologique, permettant d’aller vers une auto-régulation des prises alimentaires.
Certes, ce billet s’appuie à la fois sur une réalité physiologique et sur mon expérience clinique. Je vous invite plutôt à faire vos expériences ! Essais-erreurs-ajustements autour de vos repas, leur fréquence, leur composition. Avec vos craintes, souvent celle de grossir. Observez, constatez.
Dans certains cas, il s’agira simplement de compléter ses repas et s’autoriser à manger cette collation qu’on s’interdisait alors qu’on ressentait la faim. Dans d’autres cas, il s’agira peut-être de d’abord manger sans faim palpable et d’observer les conséquences sur le déroulé de la journée, son niveau de bien-être physique et mental. Cela dépend. La réalité peut être plus complexe, ce billet a vocation à ouvrir une perspective, tout en rendant le sujet accessible, et ne remplace pas une analyse plus fine en consultation.
Avertissement :
Dans le cas de troubles des conduites alimentaires (boulimie nerveuse, hyperphagie boulimique), réguler des crises peut comprendre un travail plus complexe, mais on commence quasiment systématiquement par renourrir le corps, suffisamment et régulièrement, tout en travaillant sur les cognitions associées, dans le cadre d’un accompagnement complet, pluri-disciplinaire.
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