« Il faut écouter ses sensations alimentaires pour perdre du poids ». Injonction ou invitation ? Tension vers un objectif ou posture d’attention curieuse ?
La nouvelle injonction ?
« Il faut écouter ses sensations pour perdre du poids ». Plutôt d’accord ou plutôt pas d’accord ?🤔 Question « qui pique » soulevée par Duncan Benveniste, confrère diététicien, lors d’une conférence au sujet de la complexité de la diététique pour le CODES 04. J’ai repartagé la question sur les réseaux et les retours m’ont montré que le sujet était loin d’être si évident. A vrai dire, je ne suis pas étonnée. Je vois pulluler des publications sur les réseaux vantant le « mindful eating pour maigrir »: version la plus criante du dévoiement de l’alimentation en pleine conscience pour en faire un n-ième (non?)-régime.
Photo provoc’ 🍪 faisant référence à une autre (double ?) injonction : celle de manger sans culpabilité ET en conscience ! 😈🤪
En réalité, le simple fait d’énoncer qu’ « il faut écouter ses sensations alimentaires pour perdre du poids » en serait une version plus subtile, mais déjà injonctive. Combien de patients ai-je reçus, mis en échec justement, car ils ont ont essayé d’écouter leurs sensations de faim, satiété, rassasiement, « comme (ils l’ont) lu / entendu / compris, mais cela ne (les) a pas fait maigrir ». Pire encore, que fait-on si, simplement, on n’a pas accès à la perception de ses sensations ? Et écouter ses sensations alimentaires permet il vraiment de perdre du poids ?
La conscience interoceptive : qu’est-ce que c’est ?
La conscience interoceptive correspond à la capacité de perception de nos états internes, à un niveau viscéral. Par exemple, la capacité de perception de notre vessie qui tiraille, des battements cardiaques, l’estomac qui gargouille, la bouche sèche sont qui sont autant de perceptions nous informant sur notre besoin d’aller aux toilettes, notre état de calme ou stress, de faim ou d’hydratation. Elle nous aide à évaluer notre état physiologique pour pouvoir répondre à nos besoins. Précieux !
De nombreux facteurs peuvent altérer cette capacité de perception : elle semble plus fréquemment diminuée chez les personnes souffrant de surpoids, obésité, maladie chronique ou trouble alimentaire. Avoir eu un vécu traumatique dans l’enfance, ou un rapport au corps très compliqué peut profondément altérer de cette capacité de perception.
Sans souffrir de troubles, notre quotidien peut nous couper de cette capacité attentionnelle envers nos états internes : stress ou fatigue chronique, tendance à l’évitement émotionnel, etc. C’est assez logique : si nous percevons nos émotions comme menaçantes, ou que notre contexte professionnel nous met dans une posture où nous devons enchaîner notre journée, se couper de nos ressentis peut être vu comme une stratégie à court terme pour passer un cap. Qui n’a jamais vécu le tunnel d’une journée, voire d’une semaine, pour ensuite se rendre compte le vendredi soir d’un niveau d’épuisement extrême ? Ce fameux mode « survie ». Si cela devient un mode de fonctionnement par défaut, cela peut suffisamment brouiller les signaux pour altérer la conscience intéroceptive à un niveau plus global.
La conscience interoceptive : cela s’évalue et se rééduque !
Observer ses sensations de faim & de rassasiement au cours du repas ? Voile d’inquiétude ou vent de panique chez certains patients, qui ne ressentent plus cela. Quoi de plus insécurisant de renvoyer une personne à cela sans même avoir évalué avec lui cette compétence là ? A minima de façon informelle, ou éventuellement avec des outils plus poussés, en évaluant différentes dimensions : capacité attentionnelle, de régulation, de faire confiance ou non à ce que l’on ressent, etc.
On pourrait définir l’alimentation en pleine conscience comme un entraînement à l’attention vers l’acte de manger au sens large.
Un vaste ensemble qui inclue une attention vers ses sensations alimentaires, bien sûr, ses pensées, émotions, et vers l’assiette, ce qui englobe là aussi des perceptions sensorielles plus externes (5 sens), ainsi que des liens avec nos représentations et nos valeurs autour de l’alimentation, qui vont elles mêmes générer des pensées, des émotions. Une attention avec une intention de curiosité, ouverture, non jugement, moment après moment.
Entraînement ? Une pratique régulière permet de rééduquer cette capacité perceptive. L’attention est une compétence qui se muscle, patiemment, avec persévérance. Différents outils sont possibles pour cela. Je fais souvent l’analogie avec un kiné qui vous permet de retrouver de la mobilité, par exemple. Il y a des parallèles dans le processus, et derrière cela l’idée d’une temporalité dans le soin. Cela se fait petit à petit, au moment adéquat, au risque de se blesser si l’on va trop vite.
Et à pas encore plus mesurés, après un travail chez un professionnel de la santé mentale, chez des personnes ayant eu un vécu traumatique, ou souffrant de certains troubles psychologiques. Chez des patients souffrant de TCA, travailler à partir des sensations alimentaires en première intention peut être dangereux et nuire au soin, mais être très utile à terme, lorsque le trouble est stabilisé, pour ramener de la régulation plutôt que du contrôle mental dans l’acte de se nourrir.
« Manger en pleine conscience, ça va me faire perdre du poids ? »
C’est une idée fréquente, malheureusement véhiculée abondamment. S’entraîner à l’attention vers le corps permet souvent d’être davantage à l’écoute de ses besoins, y compris alimentaires, mais pas que ! La réalité est bien plus complexe car les difficultés autour de l’alimentation sont souvent le symptômes d’autres dysfonctionnements. L’attention peut permettre d’amener davantage de régulation, et de progresser dans la connaissance de soi, de ses mécanismes, de ses propres schémas, de s’ouvrir à différentes possibilités de réguler ses émotions, d’augmenter sa capacité aussi à sentir et tenir compte de ses signaux corporels. Qu’est-ce que cela permet in fine ? De poser des actions plus adaptées et mieux susceptibles de répondre à ses besoins dans un ensemble desphères (alimentaires, stress, émotions, mouvement, sommeil, relation à soi et aux autres, etc.).
Il est inexact de dire que l’on mange moins en mangeant en conscience : de nombreuses personnes font l’expérience de se restreindre en exerçant un contrôle mental sur leur alimentation. Il est donc possible que ces personnes augmentent leurs prises alimentaires au cours des repas, mais se régulent ensuite mieux également en dehors des repas en portant attention au corporel. Cela peut aussi conduire à manger « plus » dans certains contextes ou « moins » dans d’autres. Chaque situation est complexe et unique, selon l’histoire de la personne. Chemin faisant, il est possible qu’une perte de poids s’amorce, selon la problématique de départ, mais c’est plutôt une conséquence éventuelle qu’un but en soi. Voir l’alimentation en pleine conscience comme une stratégie de contrôle de l’assiette et du poids est une erreur. C’est certain que c’est moins vendeur que d’annoncer une perte de poids, mais les compétences développées sont infiniment plus précieuses !
Et si, simplement, l’alimentation en pleine conscience nous permettait de nous relier au vivant en nous pour le nourrir de façon adaptée ?
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