Casser quelques mythes autour de l’alimentation en « pleine conscience »

« Je n’arrive pas à lâcher prise », « ça va me faire perdre du poids ? »… de nombreuses représentations sont véhiculées autour de l’alimentation en « pleine conscience ». Je vous livre 9 questions « brutes » telles qu’elles ont pu être formulées et des éléments pour alimenter la réflexion. Mais au delà de la réflexion, s’il y a bien une invitation que je souhaite formuler, c’est d’essayer par vous-même, accompagné ou non, car la pleine conscience est une expérience, un vécu, ancré dans la réalité quotidienne.

« Je suis trop rationnel.le pour cela ! »

Plusieurs représentations peuvent se nicher derrière ce mot (« c’est spi ? », « c’est scientifique ? », etc). La méditation de pleine conscience est issue de traditions bouddhistes mais a été laïcisée et protocolisée pour entrer dans le monde de la santé. Elle a fait l’objet de nombreuses études scientifiques dans ce cadre là. C’est bien de cela dont il s’agit ici.

La méditation de pleine conscience, c’est un entrainement à l’attention, moment après moment, sans jugement, de ce qui passe dans le champ de la conscience. Concrètement, c’est aller explorer son expérience (intérieure : sensations corporelles, pensées, émotions // extérieure : les 5 sens), à la manière d’un scientifique qui noterait factuellement ce qui se passe, sans chercher à interpréter quoi que ce soit, ni à modifier intentionnellement l’expérience. Si un jugement se présente (« je ne devrais pas ressentir cela », « pourquoi suis-je ainsi ? »), l’intention est de l’identifier comme tel (« tiens, je remarque que j’ai cette pensée-jugement »). On ne cherche pas tant à savoir pourquoi on vit cela, mais plutôt « comment ça se passe pour moi, là maintenant ? ». « Et qu’est-ce que j’en fait ? ».

L’observation peut être aussi prosaïque que remarquer que l’on a la bouche sèche et pâteuse, le traduire par la sensation d’avoir soif (et donc décider de boire). Ou observer que l’on est rassasié à travers différents signaux corporels et émotionnels et en même temps des pensées autour de cet aliment que l’on a bien envie de finir et une impulsion forte à le saisir : « OK, c’est comme ça, qu’est-ce que je fais de cela ? »

Petite anecdote, on est revenu me dire « que c’est en fait super rationnel tout ça » ;-).

« La pleine conscience, j’associe ça à petit bambou et son picto de moine zen, à faire le vide. »

La pleine conscience, c’est tout sauf le vide ! Aller vers son monde intérieur, c’est une (re)découverte de tout ce qui s’y passe, avec une acuité plus ou moins fine. C’est accueillir le confortable autant que l’inconfortable, dans la mesure du possible avec la même ouverture vers l’expérience. Ce qui est sacrément déstabilisant, c’est qu’en se tournant vers cette expérience, là où l’on pense, selon certaines représentations, « faire le vide », on se retrouve en réalité face à un sacré tumulte intérieur, même lorsque « tout va bien » ! Ca pique, ca réveille, un cocktail assez détonnant ! Pourquoi ? Parce que la vie est faite tout simplement de ce même mélange, comprenant des expériences agréables, désagréables ou plus neutres, à tout moment de la journée. Tant et si bien que la méditation de pleine conscience est contre-indiquée dans un certains nombres de cas (certains troubles psy, période de dépression, troubles des conduites alimentaires en phase aiguë), car faire face à son expérience lorsqu’on va très mal peut induire des souffrances importantes et décompensation de ces troubles. Sentir pour soi que ce n’est pas le moment d’aller vers cela est extrêmement précieux. Signaler des antécédents ou une difficulté lors d’une prise en charge est indispensable.

« C’est comme la sophro ou la relaxation ? »

Je ne vais pas parler de ce que je ne connais pas bien (la sophro ou la relaxation), mais je remarque que derrière ces phrases il y a souvent l’idée d’atteindre un état, de relaxation, par exemple. Il est possible qu’une pratique de méditation de pleine conscience amène un état de relaxation. Il peut-être par exemple fréquent de s’endormir lors d’un scan corporel, mais c’est plutôt le contexte qui favorise la détente et l’endormissement (être allongé, avec un état de fatigue latent, après un repas, ou le soir). Le fait de méditer permet de prendre du recul envers nos pensées envahissantes, des ruminations qui généraient peut-être des tensions. Aller au contact de ce nœud dans le ventre liée à une angoisse peut nous permettre de réaliser que cette sensation (et l’émotion associée) a une durée bien déterminée, ne dure pas, et donc aider à passer à autre chose ensuite. Cela peut faciliter une détente mais ça n’est pas le but recherché, simplement une conséquence éventuelle.

On peut aussi tout à fait rester avec ses tensions et ses torrents de pensées pendant toutes la pratique ce qui n’est pas un échec de la pratique, mais l’observation de son état du moment, et tout aussi précieux. S’il y avait un « but » dans la pratique, ce serait plutôt d’entrer en relation avec nos pensées, sensations, émotions, telles qu’elles sont et quelles qu’elles soient. Pour pouvoir interagir différemment ensuite.

« Je n’y arrive pas », « je n’arrive pas à lâcher prise », « Il ne s’est rien passé de spécial »

Vous est-il déjà arrivé de vous réveiller à 3h du matin ? La veille d’une grosse présentation ? Qui ne s’est jamais dit « il faut absolument que je me rendorme vu la journée qui m’attend !! ». Cette pensée, là, elle augmente ou diminue les chances de se rendormir ? Elle vient en général rajouter une belle couche d’anxiété de performance. « Je dois absolument lâcher prise », cela crée en général plus de tensions que ça n’en allège 😉

Se foutre la pression pour se rendormir, c’est contre-productif, on obtient l’effet inverse de ce qu’on souhaite. Mettre devant une pratique de méditation une injonction de performance est tout aussi contre-productif. Il n’y a rien à réussir ou à échouer puisque l’objet est d’observer ce qui se passe, y compris des tensions ou le torrent de pensées qui dévale, du mieux que l’on peut, en gardant de la bienveillance envers soi.

« Je n’ai vraiment pas le temps pour ça », « je cours tout le temps, impossible »

Ramener son attention vers son expérience, c’est finalement remettre de la présence dans nos actes les plus simples, ce qui en soit ne « prend » pas de temps. « Je pensais perdre du temps et finalement j’en ai gagné ! », ai-je entendu en consultation. Suis-je dans une posture où je me sens libre de m’ouvrir à une expérience, ou alors suis-je en train de faire cela par obligation ? Quelle est l’intention que je pose en prenant ce temps ? Est-ce que je perds ce temps, ou est-ce que je me l’offre ? Ne suis-je pas en train de prendre soin de moi en écoutant ce qui se passe en moi, puisque cela me donne une information pour mieux répondre à mes besoins ? Chacun peut cheminer sur ce fil de réflexion.

« Je n’ai pas fait ce qu’il fallait, mes pensées m’envahissaient »

Contrôler les allées et venues des pensées est impossible, mais remarquer qu’on s’est fait embarquer puis ramener l’attention autant de fois que possible vers l’objet de l’attention (le corps, le souffle, son assiette à travers les 5 sens), cela fait partie de la pratique. Comme un muscle qu’on entraîne, avec persévérance et douceur, on augmente sa capacité à revenir à chaque fois. Mais l’esprit, naturellement, vagabonde. Et c’est normal !

« Je mange trop vite pour pouvoir manger en conscience » ou « avec des enfants, impossible de manger en conscience »

La représentation derrière cela est souvent l’image d’un repas en silence, ou chaque mets est tranquillement dégusté. La réalité est tout autre. « Manger en conscience », c’est déjà, simplement, ramener des touches d’attention vers ce qui se passe, même brèves.

Remarquer que l’on pense « manger trop vite » est déjà une observation intéressante. On peut même renforcer une intention de changement en allant observer concrètement comment est l’expérience au cours des repas où l’on mange vite, si cela cause par exemple des tensions, des inconforts, ou pour remarquer que l’on cherche à fuir une émotion en engloutissant son repas. Toute expérience, observée dans l’instant présent, est apprentissage.

J’observe aussi que quelque soient les modalités des repas et y compris dans des situations loin d’être idéales selon les représentations courantes, les patients qui commencent à s’entrainer à amener de l’attention, aussi souvent que possible, en pointillé, ont des prises de conscience, parfois très tôt dans le suivi. Poser l’intention de ramener l’attention est un acte déjà radical en soi !

Manger en pleine conscience en famille

Au sujet du repas avec les enfants, je vous invite à (re)lire cet article : « cultiver la présence au repas (avec des enfants à table)« .

« Manger en pleine conscience, ça va me faire perdre du poids ? »

C’est une idée fréquente, malheureusement véhiculée abondamment. S’entraîner à l’attention vers le corps permet souvent d’être davantage à l’écoute de ses besoins, y compris alimentaires, mais pas que ! La réalité est bien plus complexe car les difficultés autour de l’alimentation sont souvent le symptômes d’autres dysfonctionnements. L’attention peut permettre d’amener davantage de régulation, et de progresser dans la connaissance de soi, de ses mécanismes, de ses propres schémas, de s’ouvrir à différentes possibilités de réguler ses émotions, d’augmenter sa capacité aussi à sentir et tenir compte de ses signaux corporels. Qu’est-ce que cela permet in fine ? De poser des actions plus adaptées et mieux susceptibles de répondre à ses besoins dans un ensemble de sphères (alimentaires, stress, émotions, mouvement, sommeil, relation à soi et aux autres, etc.).

Il est inexact de dire que l’on mange moins en mangeant en conscience : de nombreuses personnes font l’expérience de se restreindre en exerçant un contrôle mental sur leur alimentation. Il est donc possible que ces personnes augmentent leurs prises alimentaires au cours des repas, mais se régulent ensuite mieux également en dehors des repas en portant attention au corporel. Cela peut aussi conduire à manger « plus » dans certains contextes ou « moins » dans d’autres. Chaque situation est complexe et unique, selon l’histoire de la personne. Chemin faisant, il est possible qu’une perte de poids s’amorce, selon la problématique de départ, mais c’est plutôt une conséquence éventuelle qu’un but en soi. Voir l’alimentation en pleine conscience comme une stratégie de contrôle de l’assiette et du poids est une erreur. C’est certain que c’est moins vendeur que d’annoncer une perte de poids, mais les compétences développées sont infiniment plus précieuses !

Par ailleurs, certains programmes comme le MB-EAT (Mindfulness-Based Eating Awareness Training, sur 8 semaines) ont fait l’objet d’études montrant qu’ils permettaient de diminuer les compulsions alimentaires.

Au sujet de l’alimentation pleine conscience & perte de poids, je vous invite à (re)lire cet article : « l’alimentation pleine conscience pour perdre du poids ?« .

« En fait, c’est hyper concret ! »

On peut certes aller vers des pratiques formelles (méditations guidées ou non, régulières), mais l’idée, déjà, est de s’entraîner à amener cette capacité attentionnelle dans son quotidien. De l’ancrer comme une posture. La pleine conscience, c’est aussi concret que de sentir le filet d’eau de la douche et de porter attention aux sensations sur le corps. Ou d’aller porter attention aux sensations en bouche d’un aliment. De remarquer l’évolution du plaisir en bouche lorsqu’on mange un aliment. Ou d’aller faire régulièrement un petit état des lieux de son état émotionnel en passant par un ressenti corporel. Ou de faire une pause à la fin de son plat pour observer. Ou d’être attentif à son corps qui s’étire lorsque l’on pratique une activité. Etc.

Erika Fournel pain au levain
Pétrir du pain : mon petit kiff dans le moment présent 😉

On peut être naturellement assez « connecté » à son corps, et réaliser que « tiens mais je fais de la pleine conscience depuis toujours sans m’en rendre compte ». Ou que par moment on est plutôt connecté, parfois pas selon les contextes. Ou pas du tout. Nos modes de vies modernes, des événements de vie difficiles peuvent avoir amené de la déconnexion : le stress, ce mode « survie » du quotidien, où l’on « tient ». Ré-entrainer cette capacité là est possible, les chemins sont multiples, et peuvent passer aussi bien par des pratiques formelles que des exercices plus informels, néanmoins très concrets en lien avec le quotidien.

Rien de plus concret que de s’entraîner à ramener son attention vers la réalité tangible de notre corps, qui est là, ici et maintenant, et la porte d’entrée de toute expérience. Pour nous permettre de poser des actions afin de mieux répondre à nos besoins tout en allant vers ce qui compte pour nous.

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