A la recherche de l’umami… et si c’était le secret pour végétaliser son assiette ?

« J’ai l’impression de ne manger qu’un accompagnement ». Pourtant cette phrase émane souvent de personnes souhaitant réellement végétaliser leur assiette : avec une motivation forte, quelle qu’en soit la source. Comment faire pour que cette transition soit vue non plus comme une privation et plutôt une source de découverte et de nouveaux ajouts dans l’assiette ?

Enrichir l’alimentation plutôt que priver

On ne mange pas avec notre raison, mais avec notre culture. Le discours actuel a tendance a être injonctif et nous mettre face à un conflit intérieur : « il faut » manger « moins » de viande… pour quoi ? Sa santé ? Sa planète ? D’autres raisons ? Quelles que soient les motivations, c’est compliqué, notamment parce que cela entre en conflit avec notre culture, ou du moins suscite un profond questionnement. Manque d’habitude ou habitudes ancrées. Enlever la viande, souvent, c’est ne laisser que l’accompagnement ? La consommation de légumineuses (= légumes secs) est passée de 16kg par an en 1900 à 1,6kg par an en 2000 aussi : elles n’ont pas vraiment la côte. Manger végé, c’est souvent vu comme manger fade, triste, sans odeur ni saveur, parfois même punitif. Cela demande de se réapproprier quelques réflexes en cuisine.

Et d’ailleurs qu’est-ce qu’une alimentation durable ? Bonne pour la biodiversité & le climat, bonne pour sa santé, bonne socio-économiquement (soutenant les systèmes ruraux) ET culturellement acceptable. Est-ce une alimentation sans aucune protéine animale ? Je n’en suis pas convaincue, et les approches autour de l’agro-écologie semblent démontrer qu’une part d’élevage non intensif reste nécessaire, notamment pour préserver l’équilibre azoté des sols. Une piste est de grandement diminuer notre consommations de produits animaux au profit de produits végétaux : peut-être que certains poursuivrons leur transition, de flexi à végétarien, et c’est d’ailleurs plus facile avec une vision plus inclusive et positive. Cet article n’a pas pour objet de débattre des positions et motivations de chacun : elles demeurent toutes légitimes, et personnellement, j’accompagne mes patients en toute bienveillance, quels que soient leurs choix, d’autant plus que je ne prétends pas détenir une vérité unique : et je me nourris de chacun de vos très beaux chemins !

Pourquoi est-ce si difficile de se priver de protéines animales ?

Frein culturel… mais aussi physiologique. Notre corps a besoin de protéines. Alors protéines n’égal pas viande, puisqu’on en trouve dans une large palette d’aliments, végétaux aussi. Une protéine est une molécule que l’on retrouve dans de nombreux aliments, y compris végétaux. Une protéine, vous pouvez l’imaginer comme un collier de perle constitué d’acides aminés (AA), dont 8 sont essentiels, càd que notre corps ne sait pas les synthétiser : ils proviennent forcément de l’alimentation. Notre corps a un appétit spécifique envers des aliments riches en protéines jusqu’à ce qu’il ait comblé ses besoins. Facile avec les produits animaux qui contiennent ces 8 AA.

Erika Fournel diététicienne (8)

Ces 8 AA, on les retrouve aussi dans les légumineuses (=légumes en gousse type lentilles, pois chiches, haricots secs, soja)… mais pas tout à fait : l’un deux, la méthionine, est présent en trop faible quantité (il est dit limitant). En revanche, les céréales sont quant à elles pauvres en lysine mais riches en méthionine. L’association des deux couvre nos besoins. Les Indiens n’ont pas eu besoin de découvrir la biochimie pour vivre d’un régime végétarien équilibré : leur mode alimentaire s’est construit bien avant. On trouve dans leurs recettes des légumineuses (lentilles de toutes sortes) et une céréale (avec du riz, des petits pains…). On peut aussi associer céréale ou légumineuse avec un peu de protéine animale pour compléter (fromage, œuf, par exemple).

Et pourquoi c’est vraiment si difficile de supprimer la viande ? Est-ce uniquement une histoire de protéines et d’acides aminés ? A cause du goût, aussi !

Umami… mot mystérieux pour cette 5ème saveur !

On dit parfois que l’umami, un mot japonais, est la saveur des protéines, car c’est un goût donné par la présence de certains acides aminés, notamment le glutamate ou acide glutamique ou des ribonucléotides comme la guanosine monophosphate ou l’inosine monophosphate. Le glutamate n’est d’ailleurs pas un AA essentiel. Le lait maternel est très riche en glutamate… et présente une saveur umami.

L’umami ne se traduit pas, mais se rapproche de la notion de « savoureux », ce truc qui nous fait dire « miam, c’est délicieux ». L’umami, c’est la notion de l’alliance gustative qui sublime et dépasse la somme des saveurs de chaque ingrédient pris à part. L’umami ce serait la 5ème saveur (après le sucré, salé, acide, amer).

Où retrouve t’on l’umami ? A l’origine, il est décrit par le goût du bouillon dashi, qui contient de l’algue kombu et de la bonite séchée. On retrouve ce goût umami dans les viandes et poissons surtout fumés ou en bouillon. Viandes et poissons sont un accès faciles à l’umami. Mais aussi : les tomates bien mûres, les asperges, les brocolis, les champignons en particulier shitakés, cèpes. Certains produits longuement fermentés présentent aussi une saveur umami : sauce soja, fromages affinés très longuement (parmesan, comté 24, 36 mois), pâte de crevette. Le chou fermenté de la choucroute et du kimchi développent un peu d’umami. Et d’ailleurs, le kimchi contient un peu de sauce de poisson dans la recette… pas tout à fait un hasard.

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L’exemple parfait du plat umami ? Un risotto de champignon : bouillon, parmesan, champignon, tout y est !

Sans surprise, le glutamate monosodique a été isolé et utilisé par les industriel pour travailler le goût de leurs produits.

 

L’art de condimenter

Je suis en consultation un certain nombre de patients qui sont en transition alimentaire, à divers niveaux (de flexi à végé). « Moins mais mieux ». Une difficulté largement partagée est de rendre la cuisine végétale savoureuse et goûteuse. Le goût est une des clés, mais comme tout point trop n’en faut. Trop d’umami tue l’umami. Voici quelques pistes pour flexitarien ou végétarien (en zappant les deux premiers points pour les végétariens):

  • La viande comme condiment : pensons au morceau de lard dans la soupe, qui donne tant de goût. D’une manière générale, une petite quantité de viande dans un plat peut permettre de retrouver ce goût délicieux. Un pot au feu peut être tout aussi exceptionnel avec un seul morceau de plat de côte pour la famille, une belle part de légumes, et pour changer des pommes de terre, essayez d’accompagner d’épeautre, orge ou encore sarrasin ! A t’on besoin de prévoir 500 grammes de viande pour un plat pour 4 personnes ? Pas nécessairement !
  • Conservez vos fonds de sauce & faites des bouillons de viande : utilisez vos carcasses, gardez le reste de sauce de bœuf bourguignon (congelez !). La saveur de viande cuisinée le week-end vous suivra toute la semaine, mais vous aurez drastiquement réduit votre consommation. Ajoutez un peu de fond de sauce à une sauce tomate ou une poêlée de légumes que vous cuisinez par exemple.
  • Utilisez les champignons : magiques dans une « bolognaise » de lentilles, les champignons peuvent se glisser un peu partout et réhaussent le goût de n’importe quel plat végétarien. En été, utilisez des tomates bien mûres, locales, gorgées de soleil.
  • Assaisonnez avec de la sauce soja, dans vos plats mijotés, avec parcimonie, car 1 c.à.s contient autant de sel que dans une pincée de sel ! Une c.à.c. de pâte de miso à la place peut aussi faire des merveilles (idem, c’est salé !).
  • Saupoudrez vos plats d’un peu de parmesan, chèvre sec. Une lichette de comté bien affiné est merveilleuse !
  • Les produits lacto-fermentés, grâce au process de fermentation, font ressortir des saveurs umami, surtout avec le chou : choucroute, kimchi ! Gardez le jus de kimchi fermenté, et ajoutez-en à vos plats (sans saler à côté, ça l’est déjà !). Ajoutez un peu de légumes fermentés dans vos assiettes.

Côté condiment, les tartares d’algues font des merveilles aussi, promis, je vais finir par vous en mettre une recette !

Essayez, et vous verrez ! C’est le meilleur moyen de se convaincre !

Concentrer les saveurs

On oublie les légumes vapeur fades. On rétorquera à la diététicienne que je suis que c’est le seul moyen de conserver notamment la vitamine C, fragile, et qu’on est obligé de cuisiner gras quand on utilise d’autres moyens de cuisson pour ne pas que ça accroche dans le récipient. En réalité, côté vitamines, le meilleur pari à faire est d’ailleurs de consommer du cru et du cuit, et d’ajouter des légumes fermentés sans les cuire dans vos assiettes. Et pardonnez moi, mais un légume vapeur qu’on se force à manger parce que « c’est bon pour la santé », ça appelle bien d’autres aliments pour combler ce manque de sapidité, et on finit par se venger compulsivement sur le chocolat ou le fromage, sauf à savoir bien l’assaisonner ! Plus le goût est concentré, plus on est satisfait sensoriellement, et on se nourrit de quantité juste suffisantes pour notre corps.

Testez les cuissons à l’étouffée, mijotées, avec des oignons (et des champignons ;-)) revenus en début de cuisson donnant du goût à vos plat ou les légumes rôtis au four avec un trait d’huile d’olive et les épices que vous aimez. En gros variez les cuissons comme vous variez les ingrédients.

Au delà du goût, la texture !

La viande offre de la « mâche ». C’est indéniable. Manger végé demande de travailler l’assiette en mettant de la texture. Ca n’est pas pour rien que les industriels tentent d’imiter les « steaks ». Les céréales complètes offrent plus de mâche que leur équivalent raffiné : riz complet, semi-complet, rouge, mélange de riz, sarrasin, quinoa, grain de blé ou épeautre. Les légumineuses aussi : lentilles, pois chiche, haricots blancs ou rouges, résistent un peu sous la dent. Ou à l’inverse, on peut rechercher du crémeux et de la douceur avec un dahl de lentilles ou une purée de pois cassés. Allez chercher du croquant en ajoutant noix et graines (courge, tournesol, sésame, lin…). Equilibrez avec des aliments mous, moelleux, cuits, ou le coulant d’un œuf mollet. Couleurs, odeurs, textures et saveurs, longueur en bouche. Manger nourrit nos sens !

A travers la transition alimentaire, je prône l’art du juste milieu et de la nuance, selon le projet de chacun, évidemment ! Je vois aussi l’assiette sous une dimension positive, en ajoutant ce qui nous fait du bien, avec un regard de curiosité et de découverte.

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4 réponses

  1. Bonjour Érika
    Article très intéressant, je rencontre parfois aussi ce problème.
    J’ajouterai aussi pour l’umami : olives, câpres, anchois. Le paprika fumé, en petite quantité, fait des merveilles avec les légumineuses par exemple. Et enfin le gras, qui est le « véhicule du goût »… Je vis dans le Sud ouest (la belle excuse !) et la cuisine au gras de canard rend nos soupes bien savoureuses, même sans viande 😉

    1. Bonjour Jen, merci pour ce retour et ces belles idées ! Olives, câpres et anchois sont en effet de très bons moyens d’agrémenter des plats en apportant cette complexe saveur d’umami. Et oui, le gras (qui est un « goût » en soi) apporte de la palatabilité aux plats ! Très bon week-end à vous !

  2. Bonjour
    Un cuisinier à Biocoop m’avait également conseillé l’association parmesan/ concentré de tomate. Il préconisait le concentré en tube, facile à conserver.

    1. Bonsoir Emilie, on peut en effet en utiliser un peu dans certaines recettes pour renforcer le goût de la tomate, et avec le parmesan, on a 2 ingrédients porteurs d’umami. A noter que le sel présent dans le concentré de tomate agit aussi comme un exhausteur de goût !

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