Vous avez été nombreux à me questionner sur le sujet de la méditation de pleine conscience: proches, confrères-sœurs diététiciens, patients, lecteurs du blog. C’est avec beaucoup d’humilité que je vous livre ce billet, qui n’a pas été simple à écrire, pour vous transmettre un petit peu de l’essence de ce qu’est la pleine conscience. Derrière un terme probablement galvaudé se niche non pas quelque chose de l’ordre de la sérénité, mais finalement une notion assez concrète : un entraînement à l’attention vers le corps, au milieu du tumulte de la vie. Il y a forcément une petite part personnelle que je vous livre dans tout cela, prenez-le comme une expérience, un témoignage, et non une vérité.
Un entraînement à l’attention vers le corps
Qu’est-ce qui nous enracine dans notre part vivante ? Notre respiration ! Si nous respirons, c’est qu’il y a de la vie en nous. Observons la, cette respiration. Vous êtes stressé ? Elle saccade, se bloque peut-être ? Serein ? Elle se libère ? Vivant ? Elle est là. Si je vous dis « méditation de pleine conscience », quelle image vous vient ? Celle d’un maître zen sur son coussin, des bruissements de feuille, et le mot « sérénité » ? La réalité est toute autre !
En septembre 2021, suite à un long cheminement, j’ai démarré un cycle de méditation MBSR (Mindfulness-Based Stress Reduction = programme de réduction du stress par la pleine conscience) de 8 semaines. 8 séances de 2h30 à 3h, une journée de méditation en silence et un engagement à pratiquer quotidiennement 45 minutes à 1h. Pourquoi ? Parce que pratiquer intensivement permet un entraînement tel un gymnase qui voudrait gagner en souplesse. C’est le muscle de l’attention que l’on travaille. L’esprit créée des dizaines de milliers de pensées par jour : non, vous n’êtes pas seul parasité par un tourbillon de pensées. Par défaut, il vagabonde. Plus on l’entraîne à revenir vers le corps, plus il se stabilise, sans que les pensées ne disparaissent pour autant. L’aller et retour entre les pensées et le corps deviennent plus souples. On développe la capacité à les observer, de façon non jugeante. On peut apprendre à se dire « tiens, j’ai eu cette pensée », et prendre de la distance, à défusionner avec cette pensée. Entrainement, car ce n’est pas un niveau stable, et il n’y a pas de médaille à obtenir.
« Au cœur de la tourmente »
« Au cœur de la tourmente, la pleine conscience« , ou « Full Catastrophe Living » en anglais : c’est le titre d’un des livres du Dr Jon Kabat-Zinn, qui a développé le protocole MBSR. « Mais c’est quoi ce truc ?? » a été ma réaction initiale. On imagine la zénitude et le lâcher prise avec la pleine conscience. La pleine conscience, c’est vivre avec la tempête, le feu dans la poitrine (merci Duncan Benveniste pour l’image;-)). Ce feu qui peut doucement crépiter et réchauffer, ou s’embraser et devenir difficilement contrôlable. On ne change pas les éléments extérieurs de sa vie, c’est même impossible, mais la perception que l’on en a ! En même temps, face à un tourment de la vie, petit ou grand, on se donne l’opportunité de transformer une réaction, en s’offrant un temps de respiration, nous laissant choisir une action. J’y reviendrai dans d’autres billets.
La métaphore de la montagne
J’aime beaucoup comparer cela à la montagne. Probablement parce que la méditation de la montagne, pendant ma journée de retraite MBSR, m’a particulièrement touchée. Et que la posture de la montagne, pieds ancrés, debout, dos droit, incarne cette stabilité, ce « je suis », et ce que je ne peux pas changer. Cette réalité aussi qui demeure autour de vous et en vous.
Fermons les yeux, et prenons la place de cette montagne, majestueuse. Cette montagne, vous la voyez peut-être couverte de verts pâturages, ensoleillée ou tapissée d’un blanc manteau de neige. Version idyllique. Cette montagne peut aussi être soumis à l’épreuve des orages, tempêtes de neige ou avalanches. Mais saison après saison, la montagne demeure, pérenne. Les éléments peuvent se déchainer, mais ils passent, la montagne redevient belle. Dans la pleine conscience, nous sommes, du verbe « être ». Pensées et émotions passent, comme des nuages, ou des vagues. Ces vagues qui peuvent nous donner l’impression qu’on va se noyer, finissent par nous chatouiller les pieds, à l’image des émotions que l’on veut bien côtoyer et non éviter.
Prenons une autre perspective : celle du randonneur. Fermons les yeux à nouveau et imaginons-nous gravir cette montagne. Allons-nous gravir droit au sommet, coupant la pente ? Probablement pas ! Trop difficile et épuisant. Il y aura peut-être des tours et des détours, des cailloux dans la chaussure, de la fatigue, des moments où l’on trouve refuge, on se ravitaille, on recule et on repart de plus belle. Peut-être sans jamais atteindre le sommet. Cette perspective permet de toucher du doigt à la fois le chemin plutôt que l’objectif, et cette posture de « prendre soin de soi ». La vie en pleine conscience est plutôt un voyage, une aventure, qui nous permet, en observant de plus près cette pensée, cette émotion, à travers telle ou telle sensation corporelle, de mieux sentir ses besoins, et donc d’y répondre de façon cohérente. Ce n’est pas un but en soi.
Pratique formelle et pratique informelle
La méditation comprend une part « formelle », la méditation sous forme de scan corporelle, méditation assisse, yoga, marche méditative, etc.
Mais la finalité de la méditation, c’est d’infuser sur toutes nos sphères de vie. De mettre de la conscience dans nos actes les plus banals du quotidien. La pleine conscience, cela peut-être sentir l’eau qui coule sur son dos sous la douche, humer l’odeur d’un plat en train d’être préparé, pétrir un pain avec ses mains, contempler un beau paysage. Il peut y avoir des pensées, mais c’est revenir encore et toujours à l’ici et maintenant. Posez-vous la question, examinez vos actes quotidiens, peut-être vos activités manuelles (cuisine, couture, peinture, jardinage, etc.) : peut-être y mettez vous déjà de la présence sans appeler cela de la pleine conscience ?
En résumé, la pleine conscience, être dans l’ici et maintenant ?
Les perspectives
Le paradoxe de la pleine conscience, c’est qu’il n’y a pas d’objectif à atteindre, et en poursuivre un change l’expérience au point qu’on passe à côté de l’expérience. Les bénéfices procurés sont toutefois démontrés par la science : réduction du stress, meilleur sommeil, acuité plus fine dans l’écoute des besoins, meilleure gestion de la douleur, par exemple. La pleine conscience appliquée à l’alimentation peut également procurer des bénéfices, notamment en développant la conscience intéroceptive, c’est-à-dire la capacité à percevoir ses sensations internes, viscérales, donc alimentaires. Je travaille cela avec mes patients. Il peut y avoir une conséquence positive qui est une meilleure régulation de la prise alimentaire, et donc peut-être, une perte de poids. Les conséquences peuvent être autres. C’est une conséquence parmi des possibilités, tout comme l’amélioration du sommeil, par exemple, peut être une conséquence, dans le cas du MBSR. Il peut aussi ne pas y avoir de « résultat ». L’idée est de s’ouvrir aux possibilités.
Mon chemin
Difficile et délicat d’en parler. Je ne souhaite pas induire l’idée par mon « exemple », que l’on peut améliorer tel ou tel aspect de sa vie car :
1. Il n’y a pas d’objectif à atteindre, mais il peut y avoir d’heureuses conséquences en laissant la pleine conscience « travailler ».
2. C’est mouvant. Ce que je vous écris aujourd’hui n’est ni la réalité d’hier, ni celle de demain.
3. Chacun est unique.
Prenez-le comme un témoignage et non comme un exemple. Ce que je peux néanmoins en dire, c’est que c’est un chemin évident pour moi désormais. Ce qui était un engagement, voire une gageure au départ (méditer régulièrement) est de l’ordre du ressourcement, c’est devenu un besoin, qui me nourrit. A nuancer ! Les conflits « j’ai envie / ça me ferait du bien » avec « là ça me fait ch… » / « j’ai pas le temps » sont toujours là ! Parfois, c’est pas le bon moment, et je me fiche la paix. Point barre. Je suis toujours aussi imparfaite, avec des réactions mal ajustées et des actions plus choisies. Cela m’a fait progresser à une vitesse incroyable sur la connaissance de moi-même, j’ai probablement une acuité plus fine dans la perception de mes besoins, et donc une meilleure capacité à prendre soin de moi en posant des choix conscients. Ca n’est pas magique non plus, et ça ne gomme pas les difficultés : c’est la VIE ! Mais je me sens plus confiante, au sens de la foi, croire sans avoir vu que du bon va arriver. Et croyez-moi, on en a besoin pour ne pas devenir dingue dans ce monde de fou. En même temps, cette démarche infuse aussi sur ma posture en tant que diététicienne, profession de santé. Enfin, je crois.
Reliée davantage au vivant, à l’humain : bienveillance, empathie plus incarnés probablement ?